La fausse alerte qui a failli détruire la terre
Le 26 septembre 1983, en pleine guerre froide, Stanislav Petrov, lieutenant-colonel des Forces de défense aérienne soviétiques était assis à son poste de commandement à Serpukhov-15, située dans le village de Kourilovo, dans l'oblast de Kalouga à une centaine de kilomètres au sud de Moscou.
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9/1/20235 min lire
Le 26 septembre 1983, en pleine guerre froide, Stanislav Petrov, lieutenant-colonel des Forces de défense aérienne soviétiques était assis à son poste de commandement à Serpukhov-15, située dans le village de Kourilovo, dans l'oblast de Kalouga à une centaine de kilomètres au sud de Moscou.
Petrov était chargé de surveiller le réseau de satellites d'alerte précoce Cosmos 1382, de type Oko dont le but était de détecter d’éventuels missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) lancés depuis les U.S.A. Les satellites scrutaient l’horizon en étudiant l’apparition de signatures infrarouges provoquées par le dégagement d'énergie au décollage de missiles.
Ce jour-là vers minuit, les sirènes du système ont retenti. Cette alarme très grave indiquait qu'un tir de missile balistique intercontinental Minuteman III en provenance de la Malmstrom Air Force Base, aux États-Unis. Petrov était pétrifié, la guerre froide battait son plein, il n’avait pas le droit ni de réagir trop lentement, ni de se tromper… Il n’eut pas le temps de considérer pleinement les différentes options que l’alerte s’aggrava indiquant quatre signalements de missiles supplémentaires, donc cinq missiles en tout.
Petrov aurait pu avertir le commandement militaire et une riposte s’en serait suivie, mais il n’a pourtant pas transmis l’alerte dans la chaîne de commandement. A l’opposé, Petrov a jugé que cinq missiles n'étaient pas une stratégie d’attaque crédible, d’autant que les opérateurs de radars satellitaires n’avaient pas confirmé ces lancements. Petrov décida de remonter que le système Oko, encore très jeune et peu testé, était défectueux. Une décision difficile à prendre étant donné le contexte de l'époque. Le président Ronald Reagan avait qualifié l'Union soviétique d'« empire du mal » et seulement trois semaines avant l’incident la destruction du vol commercial 007 Korean Air Lines de Séoul vers New York par un intercepteur soviétique avait encore dégradé les relations. Mais Petrov avait un avantage décisif : ingénieur algorithmique, il connaissait très bien le fonctionnement du programme informatique de surveillance. « Un ordinateur ne peut jamais être plus intelligent que la personne qui l'a créé. » déclarera-t-il au journal Russe Gazeta. « je me suis permis de ne pas croire le système, car je suis une personne, pas un ordinateur. ». D’après Petrov, un autre officier n’aurait pas hésité à donner l’alerte.
Il s’avéra que c’était en effet une fausse alerte ! En raison probablement de la position du soleil et des nuages, la lumière du soleil avait été réfléchie sur les capteurs infrarouges du satellite, ce qui a déclenché plusieurs fausses alertes de missiles !
L’incident a conduit l’Union soviétique à ajouter un système de satellites géostationnaires complémentaire afin de corroborer toute indication de lancements de missiles en provenance des États-Unis. Il est évident que pour un système aussi critique, une seconde source de confirmation n’était pas superflue.
Stanislav Petrov est un véritable héros qui a empêché la destruction mutuelle des états-unis et de l’URSS par sa clairvoyance. Il indiqua que les enquêteurs qui analysèrent la fausse alerte cherchèrent à faire de lui un bouc émissaire. La Commission d'État l'accusa de ne pas avoir inscrit l’incident dans le journal durant l’incident ni après (alors que c’est formellement interdit). Il déclarera « Ensuite, j'ai eu beaucoup de mal. Ils ont commencé à chercher toutes les erreurs que j’aurai commises, et ceux qui veulent trouver des erreurs finiront certainement par les trouver. Le colonel général Yuri Votintsev m'a alors réprimandé, puis, 10 ans plus tard, il s'est excusé dans la presse (dans le journal Pravda en 1993) ». Lorsque le journaliste de la Pravda a sonné a sa porte en indiquant a sa femme « Oh, votre mari a sauvé le monde de la guerre nucléaire », Petrov aurait claqué la porte et dit à sa femme que le journaliste avait menti par « peur d'être testé » !
Un an après l'incident, il prit sa retraite de l’armée car il considérait que son travail était ingrat, stressant et avec des relations professionnelles parfois exécrables. Il travailla ensuite 13 ans à l'institut qui a créé ce système fautif, en tant qu'ingénieur senior, puis il dû démissionner car sa femme était malade d’un cancer du cerveau et il n'y avait personne pour s'occuper d'elle. Lorsqu’elle décéda en 1997, il se retrouva seul, sans travail, et sans soutien, impossible de retourner travailler à l’institut car il se sentait obsolète après cette longue absence.
Le 21 mai 2004, puis le 19 janvier 2006, il fut distingué par l'Association of World Citizens, une association pour la paix dans le monde basée à San Francisco. « Je suis terriblement gêné qu'à l'étranger on me représente en héros, alors que les nôtres se taisent. Quand j'ai reçu un autre prix à Dresde, on m'a demandé où était mon texte. Et j'ai dit que je n'avais rien préparé - je vais regarder la salle et parler avec mon cœur » indiqua-t-il. Pour lui, il n’était « qu’au bon endroit et au bon moment », insistant sur le fait que « tant que les deux camps disposeront d’arsenaux nucléaires, le risque d’une guerre nucléaire ne pourra être exclu », « on n’a rien appris du passé, chaque camp reste toujours de son côté de la barricade ».
Il décèdera dans son appartement de Friazino le 19 mai 2017 à 77 ans des suites d’une maladie. Mais sa mort ne fut connue du grand public qu'en septembre 2017. Peter Anthony, un cinéaste danois, réalisa en 2014 un documentaire « L'homme qui a sauvé le monde » sur Petrov. Anthony indiquera que Petrov n'était pas censé être là ce jour-là, mais un autre officier était malade alors Stanislav a dû prendre le relais. Lorsqu’on lui demande ce qui pourrait faire un monde meilleur il répond « il faut faire table rase du passé, je suis fatigué de vivre dans cette atmosphère de méfiance et d’hostilité permanente, pourquoi nos pays ne peuvent-ils pas s’entendre, c’est absurde ! [...] Dans une guerre atomique mondiale, personne ne gagnera, personne ! »
Cette histoire, aujourd'hui presque oubliée, nous rappelle combien l’antagonisme des grosses puissances militaires possédant l’arme nucléaire est capable en un instant de transformer la terre en une immense boule de feu. A un moment où les paroles inconsidérées des uns poussent à l’usage de bombes nucléaires, il est important de comprendre la fragilité de notre monde, et à combattre la folie de ceux qui poussent ce monde au-delà de son point d’équilibre entraînant sans aucun doute la fin de l’humanité.